La transformation du paysage des instances représentatives du personnel en France constitue une mutation profonde du dialogue social. Depuis les ordonnances de 1945 créant les comités d’entreprise jusqu’à la naissance du CSE en 2017, cette évolution témoigne d’une recherche constante d’efficience et de simplification des relations sociales en entreprise.

Chiffre clés : En 2021, 38,9% des entreprises de 10 salariés ou plus sont couvertes par un CSE, représentant 79,3% des salariés français. Cette couverture témoigne de l’implantation progressive mais substantielle de cette nouvelle instance dans le tissu économique national.

L’évolution historique des instances représentatives du personnel

L’histoire des instances représentatives du personnel en France reflète l’évolution progressive des relations sociales et du droit du travail. Cette trajectoire institutionnelle, marquée par des étapes décisives, témoigne de la construction d’un modèle de dialogue social spécifiquement français.

Les prémices de la représentation du personnel (1884-1945)

Les premières formes de représentation du personnel émergent dès la fin du XIXe siècle. La loi du 21 mars 1884 sur la liberté syndicale constitue le socle juridique initial, autorisant la formation d’associations professionnelles. Cependant, il faut attendre les ordonnances du 22 février 1945 pour voir naître les premiers comités d’entreprise, créés dans un contexte de reconstruction d’après-guerre et d’aspiration à une démocratisation de l’économie.

Ces comités d’entreprise initiaux, obligatoires dans les entreprises de plus de 50 salariés, se voient confier une double mission : économique avec l’information sur la marche de l’entreprise et sociale avec la gestion des oeuvres sociales. La loi du 16 avril 1946 complète ce dispositif en instituant les délégués du personnel pour les entreprises de plus de 11 salariés, chargés de présenter les réclamations individuelles et collectives à l’employeur.

L’enrichissement du paysage institutionnel avec les lois Auroux (1982)

Les lois Auroux du 4 août 1982 marquent une rupture fondamentale dans l’évolution des instances représentatives. Jean Auroux, ministre du Travail, impulse une réforme ambitieuse visant à renforcer les droits des salariés et moderniser le dialogue social. Ces textes créent les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) dans les entreprises de plus de 50 salariés, instituent un droit d’expression directe des salariés et développent la négociation collective d’entreprise.

Jean Auroux déclarait alors : « Les salariés doivent devenir des citoyens dans l’entreprise »

Cette période voit également l’extension des prérogatives des comités d’entreprise, notamment en matière de consultation sur les orientations stratégiques et l’organisation du travail. Les CHSCT acquièrent des compétences spécialisées en santé-sécurité, avec des moyens d’expertise renforcés.

Un système à trois instances en pleine maturité (1982-2017)

Entre 1982 et 2017, le paysage institutionnel français se stabilise autour de trois instances complémentaires. Les délégués du personnel traitent les réclamations individuelles et veillent au respect du droit du travail. Les comités d’entreprise exercent leurs attributions économiques (consultation sur les comptes, les orientations stratégiques) et sociales (gestion des activités culturelles et sportives). Les CHSCT se spécialisent dans la prévention des risques professionnels et l’amélioration des conditions de travail.

Ces trois instances ont coexisté jusqu’à leur remplacement par le Comité Social et Économique (CSE) en 2017, qui fusionne leurs attributions respectives dans une instance unique.

Le cadre juridique et les attributions des anciennes instances

Le système français de représentation du personnel s’est historiquement organisé autour de trois instances distinctes, chacune dotée d’attributions spécifiques et complémentaires. Cette architecture institutionnelle, issue des réformes d’après-guerre et des lois Auroux de 1982, a structuré le dialogue social pendant plusieurs décennies avant la création du CSE en 2017.

Les délégués du personnel : premiers interlocuteurs des salariés

Instaurés par la loi du 16 avril 1946, les délégués du personnel constituent la première instance de proximité dans les entreprises d’au moins 11 salariés. Leurs missions se concentrent sur la défense des intérêts individuels et collectifs des salariés :

  • Présentation des réclamations individuelles ou collectives relatives aux salaires, à l’application du Code du travail et des conventions collectives
  • Saisine de l’inspection du travail en cas de non-respect de la réglementation
  • Accompagnement des salariés lors d’entretiens préalables à licenciement

Leur mandat de quatre ans leur confère une protection contre le licenciement et un droit de libre circulation dans l’entreprise.

Le comité d’entreprise : pilier du dialogue économique et social

Créé par l’ordonnance du 22 février 1945, le comité d’entreprise s’impose dans les entreprises d’au moins 50 salariés comme l’instance centrale du dialogue social. Ses attributions se déclinent en deux volets principaux :

Attributions économiques

Domaine de consultationPériodicitéDélai d’expertise
Orientations stratégiquesAnnuelle30 jours
Situation économique et financièreAnnuelle30 jours
Politique sociale, conditions de travailAnnuelle30 jours
Licenciements économiquesPonctuelleVariable selon effectifs

Attributions sociales et culturelles

Le comité d’entreprise gère un budget dédié aux activités sociales et culturelles, dont le montant est déterminé par accord d’entreprise ou par les usages de l’entreprise. Cette mission englobe l’organisation de voyages, spectacles, bibliothèques, cantines et crèches d’entreprise.

« Le CE est devenu un enjeu électoral majeur pour les organisations syndicales dans le cadre de la loi de 2008 sur la représentativité », souligne le rapport de l’IRES de 2016.

Le CHSCT : gardien de la santé au travail

Les Comités d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail, généralisés par les lois Auroux de 1982, interviennent dans les entreprises de plus de 50 salariés. Leurs missions couvrent :

  1. Prévention des accidents du travail et maladies professionnelles
  2. Amélioration des conditions de travail
  3. Analyse des risques professionnels
  4. Enquêtes en cas d’accidents graves

Les membres du CHSCT peuvent recourir à l’expertise en cas de risque grave ou de projet d’aménagement important.

Les apports de la loi de sécurisation de l’emploi de 2013

Cette réforme introduit la Base de Données Économiques et Sociales (BDES), centralisent les informations transmises au comité d’entreprise. Cette innovation numérise l’accès aux données économiques et sociales, facilitant l’exercice du droit à l’information des représentants du personnel.

Les limites du système fragmenté : l’expertise de CE Expertises

Face à la complexité de ce système tripartite, l’expertise reconnue de CE Expertises dans l’accompagnement des instances représentatives du personnel est notable. Le cabinet intervient notamment sur les consultations économiques obligatoires, l’analyse des comptes annuels et l’évaluation des projets de restructuration. Cette expertise technique permet aux élus de mieux appréhender les enjeux économiques et de renforcer leur capacité d’intervention dans le dialogue social. L’approche transversale de CE Expertises répond aux difficultés de coordination entre instances distinctes, offrant une vision globale des problématiques d’entreprise qui transcende les cloisonnements institutionnels.

Cette fragmentation institutionnelle génère des dysfonctionnements : doublons dans les consultations, difficultés de coordination entre instances, et complexité administrative pour les employeurs. Ces constats alimenteront la réflexion sur la nécessité de simplifier et rationaliser le système de représentation du personnel.

La création du CSE : objectifs et modalités de mise en œuvre

Les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 ont marqué une transformation du paysage social français avec la création du Comité Social et Économique (CSE). Cette réforme institutionnelle répond à trois objectifs principaux : simplifier le dialogue social, fusionner les anciennes instances représentatives et renforcer l’efficacité des consultations au sein des entreprises.

Les objectifs de la réforme : simplification et fusion des instances

Le CSE fusionne en une seule instance les missions précédemment réparties entre les délégués du personnel (DP), le comité d’entreprise (CE) et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Cette fusion vise à rationaliser le dialogue social en évitant les doublons et en centralisant les informations. L’objectif est de créer une instance unique capable de traiter l’ensemble des questions économiques, sociales et de sécurité, tout en conservant les prérogatives de chaque ancienne instance.

La réforme s’inscrit dans une logique de décentralisation de la négociation collective au niveau de l’entreprise, permettant aux acteurs locaux d’adapter l’organisation du CSE à leurs spécificités sectorielles et organisationnelles.

Modalités de mise en oeuvre progressive et négociations d’entreprise

La mise en oeuvre s’est étalée entre janvier 2018 et décembre 2019, suivant un calendrier défini par les échéances électorales de chaque entreprise. Les entreprises ont dû négocier avec les organisations syndicales pour définir l’organisation de leur CSE, notamment :

  • La détermination des périmètres et des établissements distincts
  • Le nombre de représentants et la répartition des sièges
  • Les modalités de fonctionnement des commissions spécialisées
  • L’allocation des moyens (heures de délégation, locaux, budget)

Les négociations ont souvent porté sur des enjeux plus larges de développement du dialogue social, comme l’illustrent les accords étudiés qui définissent « un socle de garanties commun à toute l’entreprise, tout en laissant une autonomie des établissements distincts au local ».

Configuration selon la taille et organisation des entreprises

Selon la taille et l’organisation de l’entreprise, différentes configurations sont possibles :

EffectifConfiguration CSECommissions
11 à 49 salariésCSE uniqueAucune commission obligatoire
50 à 299 salariésCSE d’entrepriseCommission SSCT obligatoire
300 salariés et plusCSE central + CSE d’établissementCommissions spécialisées (CSSCT notamment)

La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) reprend les attributions de l’ancien CHSCT et demeure obligatoire dans les entreprises de 300 salariés et plus.

Bilan de la transition : couverture et enjeux

En 2021, les statistiques révèlent que 17,8% des entreprises de 10 salariés ou plus du secteur privé non agricole engagent au moins une négociation collective. Parmi les entreprises engageant une négociation, 58,4% comptent au moins un membre du CSE qui y participe. Cette transition institutionnelle s’accompagne d’une présence syndicale dans 11,2 % des entreprises, couvrant 57,5 % des salariés.

« Le passage en CSE représente un changement important avec un souhait de proximité avec les métiers. Le souhait portait aussi sur une proximité avec le terrain » Extrait d’accord d’entreprise ASSUR-1

Les nouvelles attributions et fonctionnement du CSE

Le Comité Social et Économique assume des responsabilités étendues qui dépassent largement la simple gestion des activités sociales et culturelles. Cette instance unique concentre désormais l’ensemble des attributions précédemment réparties entre différentes instances représentatives du personnel, créant un interlocuteur privilégié du dialogue social en entreprise.

Les missions économiques et stratégiques du CSE

Dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le CSE est régulièrement consulté sur les orientations stratégiques de l’entreprise, sa situation économique et financière, sa politique sociale, ainsi que sur les conditions de travail et l’emploi. Les ordonnances Macron ont maintenu le principe des consultations récurrentes issues de la loi Rebsamen, qui rythment désormais l’activité du comité. Le contenu et la périodicité de ces consultations peuvent être définis par accord collectif, cette périodicité ne pouvant être supérieure à 3 ans.

Le CSE dispose d’un accès privilégié à la Base de Données Économiques et Sociales (BDES), lui permettant d’analyser les enjeux stratégiques de l’entreprise. Les membres titulaires peuvent bénéficier d’un stage de formation économique de 5 jours au maximum dès leur élection pour maîtriser ces différents aspects techniques.

Les attributions sociales et de santé-sécurité

Au-delà de ses missions économiques, le CSE conserve la gestion des activités sociales et culturelles traditionnellement dévolues aux comités d’entreprise. En matière de santé et sécurité au travail, il exerce ses compétences directement ou par l’intermédiaire de la Commission Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) dans les entreprises de plus de 300 salariés.

La loi « senior » publiée au Journal officiel le 25 octobre 2025 a instauré de nouvelles obligations d’information et consultation du CSE, notamment concernant la mise en oeuvre de plans relatifs à l’emploi et aux conditions de travail des salariés expérimentés et aux périodes de reconversion professionnelle. Les mesures relatives à l’entretien de parcours professionnel s’appliquent depuis le 26 octobre 2025.